En cette Journée Internationale de Lutte pour les Droits des Femmes, La Cloche souhaite mettre en avant celles qui ne le sont jamais : les femmes à la rue ou en situation de grande précarité. Elles sont « invisibles », alors qu’elles représentaient 38% des personnes sans domicile[1] en 2012 et que le nombre de femmes à la rue a augmenté de manière exponentielle ces 10 dernières années. [1] Selon les statistiques de l’INSEE et de l’INED
Nous sommes allés à la rencontre de Mama et Rachida, deux femmes extraordinairement fortes, qui se sont retrouvées sans domicile d’un jour à l’autre. Elles nous ont raconté leur histoire et leur quotidien en tant que femmes sans domicile. Rachida : Je viens d’Oran, en Algérie et j’y étais coiffeuse professionnelle. Je viens d’une famille pauvre, je n’ai donc jamais été à l’école. Je suis venue en France il y a deux ans pour me soigner suite à un problème de santé, qui m’empêche actuellement de reprendre mon activité professionnelle. Aujourd’hui, je suis sans-domicile et je participe quotidiennement à des cours de français depuis que je suis arrivée, car j’aime beaucoup la France et le français. Je fais aussi beaucoup d’activités avec La Cloche, parce que j’aime aider. J’aimerais d’ailleurs travailler dans un secteur où je peux aider les gens. Mama : Je suis d’origine sénégalaise, je suis arrivée en France à l’âge de 7 ans. Je ne suis pas venue avec mes parents, ils étaient déjà sur place. J’ai grandi sur Paris et j’y suis allée à l’école, puis, mes parents ont divorcé un jour et ça a un peu perturbé mon enfance, je me suis retrouvée en garde partagée. J’ai donc fait la rebelle en me disant que j’allais faire ma vie par moi-même. J’ai quitté l’école à l’âge de 16 ans, l’âge auquel j’ai eu mon premier enfant, j’ai eu au total 4 enfants, ça a été un parcours difficile parce que les pères sont différents. Le père de mes deux derniers enfants est décédé et j’ai donc éduqué mes enfants toute seule. Puis, j’ai été grand-mère grâce à ma première fille, mais elle est décédée il y a un an d’un accident de voiture. Elle m’a laissé avec 2 petits enfants, le premier est placé et le second vit chez son papa. J’aimerais les voir mais le père de mes petits-fils s’y oppose, donc je suis dans une procédure de justice pour récupérer mes droits en tant que grand-mère. On est sur un parcours du combattant. Sinon, parallèlement, j’ai directement travaillé après avoir quitté l’école, j’ai fait pas mal de petits boulots dont le premier a été d’être fleuriste. Malheureusement, ma patronne a dû mettre les clefs sous la porte donc j’ai dû me débrouiller. Ensuite j’ai travaillé dans la restauration et j’ai aussi fait de la vente. J’ai enchainé petit boulot par petit boulot. A un moment donné, je me suis retrouvée à la rue parce que je n’avais pas d’appartement. Il fallait que je puisse nourrir mes enfants, je galérais avec eux dans la rue, jusqu’à ce que je puisse trouver un appartement, un toit sur nos têtes. En ayant une famille recomposée, ça n’a pas été facile parce que les enfants n’étant pas du même père, cela a suscité des jalousies et beaucoup de problèmes et je ne me suis donc pas vraiment investie dans ma vie affective avec mes enfants. Le dernier travail que j’ai fait, ça a été 4 ans en tant que gouvernante dans une clinique, mais j’ai par la suite été licenciée. Depuis, j’ai arrêté de travailler. Je m’occupe de ma famille et avec ma fille décédée, moralement et psychologiquement, ce n’est pas trop ça. Pour l’instant, je ne me vois pas aller travailler tout de suite, je préfère déjà régler les problèmes qu’il y a entre les enfants, trouver une stabilité, aller mieux, sachant qu’on est dans une situation très précaire. Comme il est aisé de l’imaginer, la vie à la rue est loin d’être évidente et lorsque l’on est une femme, les complications liées à ce mode de vie s’intensifient, et Mama et Rachida nous ont confié leurs difficultés et comment, au regard de leurs expériences, chacun de nous pouvons agir à notre échelle. RACHIDA : C’est plus compliqué de vivre à la rue lorsqu’on est une femme parce qu’on s’attaque plus facilement à nous qu’aux hommes, parce qu’ils peuvent plus facilement se défendre. En tant que femme à la rue, on doit se méfier de tout le monde, y compris des autres personnes à la rue. Je connais des femmes qui se sont faites violées par exemple. La plupart des femmes préfèrent dormir dans des positions inconfortables, mais dans des lieux clos, sur les chaises des hôpitaux par exemple, car on y est plus en sécurité que dehors. MAMA : C’est très difficile. On doit faire attention à tout. On est l’affût de tout. Lorsque l’on dort sur un trottoir avec des enfants en bas-âge, il faut vraiment avoir l’œil, être sur le qui-vive parce tout peut arriver : se faire agresser, se faire violer, ce n’est vraiment pas évident. Pour une femme c’est encore plus dur, un homme, on ne va pas aller lui chercher le sexe mais une femme ça commence par là. Ce n’est jamais bien pour une femme d’être à la rue. J’en parle mais avec beaucoup de douleur parce que j’ai traversé des situations douloureuses. Il m’est arrivé de ne pas dormir pendant des nuits en me demandant : Qui va venir se mettre à côté de moi pour pouvoir me faire je ne sais quoi dès que j’aurais l’œil fermé ? En plus avec des enfants, il faut tout le temps surveiller et faire attention à ce que personne ne les touche. C’est réellement un parcours très difficile. Comme l’expriment Rachida et Mama, on constate que les femmes sont souvent considérées comme des proies plus faciles et subissent plus régulièrement des violences, sexuelles, verbales ou physiques. Ces violences ont lieu dans la rue mais aussi dans les lieux d’accueil comme les foyers ou même les bains publics. En effet, selon Le Figaro, en 2018, seulement « 10% d’entre elles prennent le risque d’accéder aux bains douches municipaux » car les femmes y subissent régulièrement des violences et y manquent cruellement d’intimité, ces lieux étant mixtes. L’accès à l’hygiène est donc très compliqué pour ces femmes qui font de plus face à la précarité menstruelle, problématique qui concerne plus largement 2 millions de personnes en France[1]. Les femmes sont aussi plus sujettes à l’isolement et à l’exclusion de la vie sociale. Face à leur vulnérabilité, elles choisissent volontairement de s’isoler ou de se camoufler : se protéger devient un mode de survie. Comme le dit Mama, cela explique qu’on les caractérise souvent d’ « invisibles ». MAMA : Les femmes sont invisibles parce qu’elles se cachent et se protègent, elles savent qu’elles sont exposées. Elles ne veulent pas gêner, sont honteuses, c’est compliqué de se dire qu’avant on avait une vie simple et qu’on se retrouve du jour au lendemain dans la rue. Elles se cachent au final de beaucoup de choses : des hommes déjà, des « prédateurs » et aussi de la honte. Elles se disent que c’est gênant, humiliant, il y a beaucoup de sentiments à la fois. Je comprends qu’elles se cachent, c’est un peu normal, c’est comme si on les voyait nues, elles se sentent exposées au regard de tous. Cette vulnérabilité et cette honte qui les poussent à s’invisibiliser mettent en exergue l’importance de changer de regard sur le monde de la rue que La Cloche revendique. Rachida et Mama insistent sur la nécessité d’instaurer un lien social et de communiquer avec ces personnes qui se sentent trop souvent exclues, afin qu’elles se sentent comprises, confiantes et en sécurité. RACHIDA : Aider une femme à la rue c’est lui parler, la faire se sentir en sécurité, puis l’aider à trouver un logement ou un travail. MAMA : Pour aider une femme à la rue, la première chose à faire c’est de ne pas la juger, de ne pas avoir d’apriori, certaines n’ont vraiment pas demandé à être là. Il ne faut pas les regarder de haut mais plutôt essayer de leur parler et de comprendre leur vécu et leur passé. Le lien social c’est important car ça les met en confiance et en sécurité et ça rassure. En tant qu’êtres humains, on a tous besoin des uns et des autres, la femme encore plus, car elle est souvent dénigrée ou rejetée, alors qu’elle est fragile et aura moins tendance à se défendre lors d’une agression, elle n’ose pas toujours faire des choses qu’un homme est capable de faire. Il faut aider ces femmes-là, elles sont vulnérables, c’est comme des bébés qui viennent de naître. Elles sont incomprises se cachent de la misère, certaines femmes sont violées mais ne veulent pas porter plainte de peur qu’on ne les croit pas ou qu’on ne les prenne pas au sérieux parce qu’elles sont des femmes ». Mama et Rachida ont beaucoup à raconter et à partager. Malgré les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, ce 8 mars 2021 est pour elles synonyme d’espoir et de solidarité. RACHIDA : Il faut que nous les femmes soyons courageuses et fortes. Pour celles qui sont en situation de précarité, il faut persévérer et ne pas se désespérer, on finira toujours par trouver une solution. Si on est soudées, tout ira bien. La solidarité et l’entraide c’est la clé. MAMA : La femme, c’est l’avenir de l’homme. Aujourd’hui une femme peut faire un métier d’homme. Moi je les ’encourage à être dans un combat, à être solidaires entre elles afin qu’elles puissent aller jusqu’au bout de leurs rêves. Nous ne sommes pas superwoman, mais nous sommes très courageuses, nous pouvons obtenir ce que nous voulons. Je dis à toutes les femmes, aimons-nous en tant que femmes, soutenons-nous en tant que femmes. Souvent entre femmes il y a de la rivalité, alors qu’on est toutes pareilles, minces ou grosses, avec un pied en moins, on est toutes des femmes et il nous ne nous soutenons pas assez entre nous, encore plus dans la rue. Il faut se soutenir et avoir confiance en nous, c’est donc très important. Nous avons toutes une valeur et ensemble on peut décrocher la lune. [1] Selon règles élémentaires
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